Dramaturge,
romancier, nouvelliste, essayiste, cinéaste, Eric-Emmanuel Schmitt est l’un des
auteurs les plus lus et les plus représentés dans le monde. Une raison à
cela : ses lecteurs se reconnaissent dans les histoires qu’il écrit et qui
prolongent, éclairent, consolent une partie de leur existence. Curieux des autres, il aime le risque de
la rencontre, et découvrir, en toute circonstance, agréable ou pas, la beauté
de l’instant. Cela sans refuser ce qu’il ressent, y compris la douleur. Car ,
contrairement à ce qu’enseigne notre époque, il invite à ne pas fuir nos
épreuves, mais à nous y confronter pour apprendre le vrai goût du bonheur. Une
manière de vivre qu’il met en situation dans son dernier livre, Les Deux Messieurs de Bruxelles ( Albin Michel) , à travers
l’histoire de Jean
et Laurent , qui se questionnent sur le mariage et la
parentalité ; de l’homme au chien, qui retrouve sa dignité d’humain, à
Auschwitz, grâce à l’amour de l’animal ; de l’étrange passion d’un second
époux pour le premier de
sa femme ; d’une mère submergée par la culpabilité, à la mort de son
fils ; d’un couple confronté à la maladie génétique. Cinq nouvelles, dont
la force du récit nous pousse à mettre nos vies en
perspective et à nous méfier des idées simples que nous pourrions avoir au
sujet de l’Amour. L’amour, le fil rouge de son œuvre.
L’Amour est le sujet
central de ces nouvelles.
L’amour
et la confiance sont, pour moi, les deux seules manières d’habiter la condition
humaine. Ces nouvelles, inspirées en partie
d’histoires vraies, parlent
de l’architecture secrète qui
cimente un couple, et montrent qu’en amour,
alors que nous croyons être deux, nous sommes toujours trois. Dans la 1ère
histoire par exemple, qui donne le titre au recueil, Les deux Messieurs de Bruxelles,
deux hommes célèbrent leur mariage, en
cachette, dans une église chic, tandis, qu’un homme et
une femme, sont unis, aux yeux de tous, par un prêtre. En apparence, Jean et Laurent sont deux. En réalité, ils sont
trois, et le resteront toute leur vie. Ils tissent un lien avec le couple
hétérosexuel et avec l’un de ses enfants, David, leur fils symbolique. Dans la 2ème histoire, Le chien, le docteur Samuel Heymann, dans un camp de
concentration, retrouve sa dignité, le sentiment d’être une personne, sa
confiance en lui grâce à un animal décharné, pouilleux et vagabond. Le chien, contrairement aux bourreaux,
l’accueille, voit son visage, pose sur lui le même regard que
sur les autres hommes. Un chien n’est pas
raciste. Certains hommes, si. Pourquoi ? Ce récit pose la question :
comment peut-on retrouver un peu d’humanité, réapprendre à vivre et à aimer
après avoir été maltraité par l’histoire et les hommes, après avoir survécu à
l’horreur de la Shoah ? Pour ce médecin, cela sera possible, grâce à
l’animal, qui le répare et de le reconnecte au reste de l’humanité. Dans Ménage à trois, une jeune veuve autrichienne se
remarie. Son nouveau conjoint, fasciné par le défunt mari, met tout en œuvre
pour le faire connaitre au reste du monde. Aujourd’hui, chacun sur terre connaît
cet homme mais, pour maintenir le plaisir de la chute, je ne vous dirai pas qui
il est. Là encore, c’est symboliquement un ménage à trois. Un cœur sous la cendre parle de nos
comportements face à la souffrance, de la difficulté d’être parent, de la manière
d’affronter la mort de son enfant, les prélèvements et greffes d’organes. L’une
des mères préfère son neveu à son fils. L’amour passe pour elle, par la
médiation d’un enfant qui n’est pas le sien. A la mort de ce dernier, sa
culpabilité la
détruira. Enfin , dans la dernière histoire, il est question
de la mucoviscidose. D ’après
quelques scientifiques, Chopin avait sans doute cette maladie génétique. S’il
était né aujourd’hui, ses parents auraient pu décider de faire une IVG et nous
aurions été privés d’un grand génie… Cette nouvelle questionne sur la manière
dont nous pouvons affronter ce type de maladie. C’est compliqué, cela engage
plusieurs vies… Il n’y a pas UNE bonne solution. Toute décision sera, à un moment ou à un autre, douloureuse. Voilà le propre
du tragique. La plupart des problèmes éthiques relèvent du
tragique.
Le mariage homosexuel et l’adoption sont au cœur de l’actualité. Quelle
est votre position ?
Le mariage doit-être accessible à tous. Il permet de faire la différence
entre la sexualité et l’amour. L’amour, c’est dire : on se choisit,
on a un projet de vie ensemble ; un idéal nous appelle, nous bouscule,
nous dynamise. L’amour est la fréquentation assidu d’un mystère – ce qui
implique de ne pas vouloir posséder l’autre. La sexualité s’avère tout autre
chose. Elle consiste à assouvir une pulsion qui trouve sa fin dans la jouissance. Se
marier, c’est dépasser la sexualité et consacrer son amour, vouloir montrer la
puissance d’un lien. La reconnaissance officielle de l’amour entre deux
personnes de même sexe est, pour moi, fondamentale. De plus , la société ne peut pas
continuer à fermer les yeux sur l’homoparentalité. Les enfants de ces couples,
qu’ils soient nés par insémination artificielle, procréation médicalement
assistée ou qu’ils soient adoptés, vivent parfois des drames terribles.
Notamment lorsque le parent-référent décède. L’enfant est alors retiré au
conjoint restant, leurs liens n’étant pas reconnus par la société ! Pourtant,
seul le bonheur de l’enfant devrait-être pris en compte. Au nom de l’enfant,
donc, nous devons encadrer légalement ces situations. Les plus réticents à le
faire sont, très souvent, les responsables religieux, alors qu’il n’y a rien de plus christique, par exemple,
que de donner de
l’amour à un enfant, souhaiter s’en occuper ! Surtout s’il n’y a pas de
lien de sang ! Les Evangiles ne
parlent pas d’autre chose… Cessons de
nier la réalité, entendons la souffrance des autres. Sinon, nous commettons un
scandale absolu.
Un
cœur sous la cendre et L’enfant fantôme, mettent
en évidence, le fait que nous ne supportions plus la douleur morale.
La
plupart de nos contemporains refusent la souffrance. Ce qui
les empêche d’avoir un rapport authentique à ce qu’ils éprouvent. Fuir la
souffrance nous spolie d’une partie de notre humanité et nous transforme en monstre. Toute sagesse commence par l’acceptation de la souffrance. On ne
peut pas être heureux sans l’intégrer au tissu de notre existence car il reste
impossible et illusoire de se protéger du malheur. Moi, j’ai longtemps esquivé,
refusé ce qui me gênait. Les épreuves m’ont appris à faire avec, à prendre la
douleur dans mes bras, à bien la recevoir, puis à la dépasser. Se mesurer
à sa douleur rend meilleur, et rapproche des autres. On évolue et on apprend la
sagesse en expérimentant le chagrin. En revanche, on ne grandit pas par la
chimie, en prenant des médicaments ou des drogues, pour calmer ses angoisses.
Ma vie intime ne peut en aucun cas dépendre de la chimie : elle n’est pas
faite d’une agitation de molécules mais de sentiments que j’éprouve, avec
lesquels je dois me construire, afin d’épouser l’existence. Me savoir mortel
m’y aide, me met sur un terrain d’égalité avec
les autres. Nous sommes tous vulnérables, frères en ignorance. Nous avançons
tous vers l’inconnu.
A LIRE
Les deux messieurs de
Bruxelles, d’Eric-Emmanuel Schmitt, Albin Michel, 288 p. 20 euros.
A VOIR:
Et au Théâtre Rive Gauche : Anne Franck : un hymne à la vie qui redonne le gout de vive et des autres aux plus réfractaires
cette pièce écrite par EES est prolongée jusqu’au 6 janvier
et
Billy Holliday
Soyez heureux et faites en profiter les autres.
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